Volume 9, numéro 2, printemps 2018
Au Québec, l’aide médicale à mourir (AMM) est entrée en vigueur en décembre 2015, dans le cadre de la Loi concernant les soins de fin de vie. L’AMM permet aux personnes en fin de vie qui éprouvent une souffrance qu’elles jugent insupportable et réfractaire aux traitements de demander qu’un médecin leur administre des substances afin d’entraîner leur décès.
Cette nouvelle procédure se distingue de la sédation palliative continue ou de la cessation de traitements qui étaient déjà pratiquées dans les milieux cliniques (Tapp, Lisa, et David, 2016). Le processus de l’AMM sous-tend une évaluation rigoureuse et respecte plusieurs conditions d’admissibilité. Ces critères visent à protéger les personnes les plus vulnérables sur le plan décisionnel, telles que les personnes mineures, celles qui souffrent d’un handicap mental de même que celles qui sont atteintes de maladies neurodégénératives.
Ces critères, de même que les procédures qui encadrent l’aide médicale à mourir, sont à plusieurs égards similaires à ceux adoptés dans le reste du Canada, sauf qu’au Québec, l’acte est réservé exclusivement aux médecins, le suicide assisté n’est pas permis et les personnes doivent nécessairement être en fin de vie pour recevoir l’AMM.
Différents facteurs peuvent mener une personne à demander l’aide médicale à mourir. Parmi ceux-ci, un sentiment de perte de dignité de même qu’une perte de contrôle figurent en tête de liste. L’anticipation de la douleur ou de la dyspnée constitue également un facteur déterminant dans l’intention des personnes à demander l’aide médicale à mourir, surtout dans les stades plus avancés de la maladie (Chochinov, Tataryn, Dudgeon, et Clinch, 1999; Ferrand et al., 2012; Freeman, Smith, Neufeld, Fisher, et Ebihara, 2016; Hudson et al., 2006; Julião, Barbosa, Oliveira, et Nunes, 2013; Monforte-Royo, Villavicencio-Chávez, Tomás-Sábado, Mahtani-Chugani, et Balaguer, 2012; Mystakidou et al., 2005). Au-delà de la peur de ressentir ces symptômes, la crainte que ceux-ci ne soient pas adéquatement pris en charge, faute de moyens et de ressources, peut contribuer aux réflexions des personnes à l’égard de l’aide médicale à mourir (Givens et Mitchell, 2009). Cette dimension s’avère particulièrement préoccupante pour le contexte québécois.
En effet, il est reconnu que l’accès aux soins, et surtout à un médecin, est souvent difficile au Québec (Institut canadien d’information sur la santé, 2018). Cette crainte est particulièrement présente chez les baby-boomers qui, conscients du bouleversement démographique prévu dans les années à venir, anticipent une dégradation encore plus grande de la qualité des soins offerts aux personnes âgées et en fin de vie. D’ailleurs, leur rapport à la souffrance et le sens donné à la fin de vie se distinguent considérablement de ceux de la génération précédente (Roy, 2013). Il est donc possible que cette génération ait davantage recours à l’aide médicale à mourir ou qu’elle revendique une meilleure qualité de vie, appelant des méthodes novatrices de nature non pharmacologique afin de soulager ses souffrances en fin de vie.
Les enjeux de l’aide médicale à mourir dans le continuum des soins palliatifs sont importants pour la profession infirmière. De nombreux efforts sont actuellement investis afin d’assurer l’accès à cette intervention. Les milieux se mobilisent également pour assurer un suivi et un soutien aux familles qui accompagnent les personnes qui font une demande et qui reçoivent l’aide médicale à mourir. La contribution des infirmières et des infirmiers est indispensable.
Le gouvernement et les milieux cliniques travaillent de concert pour améliorer les soins offerts aux personnes atteintes de maladies incurables et à celles qui sont susceptibles de bénéficier de soins palliatifs. Le ministère de la Santé et des Services sociaux, en collaboration avec les établissements, a mis en place des programmes particuliers et de la formation visant à outiller l’ensemble des professionnels de la santé qui interviennent en amont des soins palliatifs spécialisés et de l’aide médicale à mourir.
Cette sensibilisation et cette démarche d’éducation des professionnels à l’égard des enjeux vécus par les personnes en fin de vie et les pratiques existantes en soins palliatifs visent à rendre plus visible et concrète la responsabilité partagée des professionnels de la santé à l’égard de ces questions. Cette responsabilité incombe autant aux professionnels qui interviennent auprès des personnes atteintes de maladies chroniques en clinique externe, que ceux qui travaillent aux soins intensifs ou en unités d’oncologie. Ainsi, chaque infirmière et infirmier peut entamer des discussions au sujet des souhaits des personnes en fin de vie, afin de soutenir le patient et ses proches dans la planification avancée de ses soins (Institut national d’excellence en santé et en services sociaux, 2016). On adhère ainsi au dicton : « Hope for the best but plan for the worst » qui signifie « Espérer ce qu’il y a de meilleur, mais planifier en fonction du pire ».
En favorisant de meilleurs soins palliatifs tôt dans le continuum de soins, le gouvernement, de pair avec les intervenants qui travaillent en soins palliatifs, veut s’assurer que les patients ne choisiront pas l’aide médicale à mourir faute d’options ou par découragement.
La responsabilité particulière de l’infirmière et de l’infirmier en ce qui concerne l’aide médicale à mourir est graduellement en train de se définir. À ce jour, un accent a été mis sur la détermination de l’éligibilité de même que sur l’administration de l’aide médicale à mourir par le médecin. Plusieurs infirmières et infirmiers ont indiqué ressentir un malaise quant à l’absence de précisions de leur rôle formel et des questionnements en ce qui concerne la légitimité de leurs interventions dans ce contexte. En effet, comment reçoivent-ils une demande d’aide médicale à mourir? Peuvent-ils questionner les patients au sujet de leurs souhaits de fin de vie en dépit des discussions entamées par le médecin?
L’étude du processus de prise de décision des personnes ayant fait une demande d’aide médicale à mourir nous informera davantage sur les zones et les dimensions pour lesquelles les connaissances et les interventions des infirmières et des infirmiers pourront être mises à contribution de manière plus explicite et transparente. Au-delà de la prise de décision, le soutien à offrir aux proches au cours de leur accompagnement, de même qu’en contexte de deuil à la suite d’une aide médicale à mourir, constitue une priorité autant sur le plan clinique que sur le plan de la recherche. Plusieurs réponses sont à venir…
Diane Tapp, inf., Ph. D., professeure adjointe, Faculté des sciences infirmières, Université Laval
Martin Roberge, inf., CHU de Québec-Université Laval
Evelyne Rousseau, inf., Université Laval
Chochinov, H. M., Hack, T., Hassard, T., Kristjanson, L., McClement, S., et Harlos, M. (2002). Dignity in the terminally ill: a cross-sectional, cohort study. The Lancet, 360(9350), 2026-2030. doi:http://dx.doi.org/10.1016/s0140-6736(02)12022-8
Chochinov, H. M., Tataryn, D., Dudgeon, D., et Clinch, J. (1999). Will to live in the terminally ill. The Lancet, 354(9195), 2084-2085. doi:http://dx.doi.org/10.1016/s0140-6736(05)76830-6
Ferrand, E., Dreyfus, J. F., Chastrusse, M., Ellien, F., Lemaire, F., et Fischler, M. (2012). Evolution of requests to hasten death among patients managed by palliative care teams in France: A multicentre cross-sectional survey (DemandE). European Journal Of Cancer, 48(3), 368-376. doi:http://dx.doi.org/10.1016/j.ejca.2011.09.020
Freeman, S., Smith, T. F., Neufeld, E., Fisher, K., et Ebihara, S. (2016). The wish to die among palliative home care clients in Ontario, Canada: A cross-sectional study. BMC Palliative Care, 15(1). doi:http://dx.doi.org/10.1186/s12904-016-0093-8
Givens, J. L., et Mitchell, S. L. (2009). Concerns about end-of-life care and support for euthanasia. Journal of Pain and Symptom Management, 38(2), 167-173. doi:http://dx.doi.org/10.1016/j.jpainsymman.2008.08.012
Hudson, P. L., Kristjanson, L. J., Ashby, M., Kelly, B., Schofield, P., & Hudson, R. … Street, Annette. (2006). Desire for hastened death in patients with advanced disease and the evidence base of clinical guidelines: a systematic review. Palliative Medicine, 20(7), 693-701. doi:http://dx.doi.org/10.1177/0269216306071799
Institut canadien d’information sur la santé. (2018). Un portrait en détail des soins de santé au Québec. Repéré à https://www.cihi.ca/fr/un-portrait-en-detail-des-soins-de-sante-au-quebec
Institut national d'excellence en santé et en services sociaux. (2016). Les niveaux de soins : Normes et standards de qualité. Repéré à https://www.inesss.qc.ca/nc/publications/publications/publication/les-niveaux-de-soins.html
Julião, M., Barbosa, A., Oliveira, F., et Nunes, B. (2013). Prevalence and factors associated with desire for death in patients with advanced disease: results from a portuguese cross-sectional Study. Psychosomatics, 54(5), 451-457. doi:http://dx.doi.org/10.1016/j.psym.2013.01.006
Loi concernant les soins de fin de vie, RLRQ, chapitre S-32.0001.
Monforte-Royo, C., Villavicencio-Chávez, C., Tomás-Sábado, J., Mahtani-Chugani, V., et Balaguer, A. (2012). What lies behind the wish to hasten death? A systematic review and meta-ethnography from the perspective of patients. Plos ONE, 7(5), e37117. doi:http://dx.doi.org/10.1371/journal.pone.0037117
Mystakidou, K., Rosenfeld, B., Parpa, E., Katsouda, E., Tsilika, E., Galanos, A., et Vlahos, L. (2005). Desire for death near the end of life: the role of depression, anxiety and pain. General Hospital Psychiatry, 27(4), 258-262. doi:http://dx.doi.org/10.1016/j.genhosppsych.2005.02.004
Roy, Jacques. (2013). L’autonomie des individus devant les professionnels de la santé et les soins de fin de vie : constats sociologiques et enjeux. Repéré à https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/DepotNumerique_v2/AffichageNotice.aspx?idn=74556
Tapp, D., Lisa, L., et David, W. K. (2016). Qu’en est-il de la sédation palliative dans le débat au sujet de l’aide médicale à mourir? Analyse des mémoires déposés lors de l’étude du projet de loi 52 concernant les soins de fin de vie. Cahiers francophones de soins palliatifs, 16(1), 60-73.
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